Un journaliste est filmé par hasard au moment de son pot de départ en retraite. L’impression de son honnêteté, soulève la question de l’indépendance des médias. Marcel Trillat, ex-chef du service société de France 2, raconte son parcours iconoclaste au sein du PAF et sa relation avec le pouvoir.
Avant le JT
Fils de paysan, né en 40, il découvre le monde de la télévision par hasard, à 25 ans, alors que Pierre Desgraupes vient filmer sa ferme et sa famille. Il sympathisera avec l’interviewer, qui lui proposera "d’essayer" le journalisme télé. Ce sera ses débuts à l’émission 5 Colonnes à la Une avec le SLII (Service de Liaison Interministériel pour l'Information), qui organise la censure gouvernementale, puis la grève et les listes noires d’après mai 68. Ne pouvant plus travailler à la télé, il fait des films militants. Mais le rapport entre journalistes et gens de pouvoir y reste problématique. Pour « Le Frein », par exemple, film syndical anti-gauchiste qu'il a co-réalisé en 1970, il dit s'être fait avoir par la CGT. « Le camp des justes ça n’existe pas », dit-il aujourd'hui. Son expérience suivante, journaliste à Radio Lorraine Cœur d’Acier, se fera toujours avec la CGT et en accord avec ses convictions.
Une ouverture au JT ?
En 1981, la gauche arrive au pouvoir. L'alternance politique permet une ouverture relative de l’information. Pierre Desgraupes nommé Directeur d’Antenne 2 l’embauche, comme Chef du service Société. C’est l’époque du Journal d’En France de Raoul Sangla, fait avec les citoyens ; c'est l'époque de débats plus équilibrés au sein des rédactions, entre les éditions (et leur tendance à proposer des sujets à la mode) et les services (défendant les remontées du terrain). Mais, pour Dominique Pradalié, actuelle rédactrice en chef de France 2, les éditions sont peu à peu devenues dictatoriales au sein des rédactions. Marcel Trillat doit lui aussi reconnaître qu’il a dû se plier à certaines choses pour passer à l'antenne. Il est difficile de résister à tout. D'ailleurs n'est-ce pas à ce moment là que les présentateurs sont devenus des « icônes électroménagères » ?
Main mise sur l'Information
En 1986, la droite, réélue, renomme les directions de l’info. Après son interview remarquée de Charles Pasqua, Ministre de l’intérieur, sur le plateau de « L’Heure de vérité », Marcel Trillat est envoyé comme correspondant permanent à Rome. Il lui reste l’ironie et l’humour dans ses reportages, qui passent à l’antenne grâce à la connivence de ses collègues parisiens restés aux mannettes. Pour Hervé Brusini, patron actuel du 20 H, il n’y a pas de censure des politiques mais bien des journalistes. Formellement, les JT des chaînes publiques sont gérés comme sur les chaînes privées, avec un mitraillage de sujets, les faits-divers en ouverture de journal, empêchant toute réflexion, et un but affirmer : "Niquer la Une !" (le JT de TF1). Pour Marcel Trillat, c’est comme si la direction avait le SLII (de l'époque de 5 Colonnes à la Une) dans la tête.
Guerre du Golfe et autocensure
Au début des années 90, à la suite de son reportage en Irak qui fera scandale (sur la censure de l’information par les armées américaines et françaises pendant la guerre d’Irak), et d'un édito sur la politique des charters en matière d’immigration menée par le nouveau gouvernement socialiste, Marcel Trillat, pourtant Directeur Adjoint de l’Information, sera muté à Moscou par Hervé Bourges. Pour des journalistes, au sein de la rédaction, c’est la peur qui règne, c’est du désarroi, c’est... pas de vagues. Seul compte le degré de souplesse de l’échine. A l’encontre, pour Marcel Trillat, qui reste un modèle pour beaucoup, seule la résistance peut assurer une carrière paisible. On ne peut pas faire du journalisme avec quelqu’un qui nous dicte ce qu’on doit écrire. Pourtant, il se souvient alors de son départ de la rédaction, et d’une conférence critique houleuse, prête à se finir à coup de poing dans la gueule...
Après le JT
Alors que des journalistes manifestent et revendiquent une loi pour leur indépendance, Marcel Trillat retourne sur le terrain de ses premiers films : le documentaire et le monde ouvrier. Lui cherche à être à égalité avec les personnes qu’il interviewe, sans dénaturer leurs propos. Il donne la parole à ceux qui en sont privés, et leur propose publiquement d’assister au montage de ses films... de façon à ce qu'ils ne soient pas, comme il le voit trop souvent à la télévision, de simples figurants.